Guillaume Stagnaro
Plotmap
Le techno-numérique comme outil de création
Le Plotmap est un outil de publication développé au sein de l’atelier numérique de l’école d’art d’Aix-en-Provence qui permet d’organiser dans un espace cartographique des éléments d’écriture. L’idée de son développement est venue du besoin grandissant et commun à plusieurs ateliers de l’école d’art d’Aix d’un outil permettant de travailler avec des médias géolocalisés. Cet outil avait pour but de permettre un travail collaboratif entre étudiants, artistes et divers intervenants lors de son utilisation en workshop et d’être utilisable sur les plateformes fixes et mobiles, aussi bien lors de l’édition des cartes que lors de la lecture de celles-ci. Il s’est rapidement avéré qu’aucun outil existant actuel ne répondait exactement à nos besoins, que ce soit du point de vue de ses fonctionnalités que de sa dépendance à des services et des technologies sur lesquels nous n’avons pas toute liberté de manipulation.
L’un des axes de l’enseignement prodigué à l’école d’art d’Aix,et particulièrement dans l’atelier hypermédia, est de développer une réflexion sur la création de ses propres outils de production. Toute pratique artistique passe par l’utilisation d’outils et de techniques des plus simples aux plus complexes. Paradoxalement, il me paraît que plus l’outil est complexe, plus il contraint son utilisateur à une certaine pensée, jusqu’à, dans certains cas extrêmes, se substituer au geste artistique même.Ce constat est particulièrement probant lorsqu’il s’agit d’outils numériques (de programmes) qui dans une grande majorité, ont été développés de manière à permettre à leurs utilisateurs une production rapide et efficace en leur offrant toute une série de fonctionnalités pré-programmées qui les éloignent de la compréhension des mécanismes mis en jeu. Afin d’éviter de tomber dans cet écueil, il nous paraît impératif, dans une démarche artistique liée à l’utilisation des technologies numériques en art, de donner le plus possible les moyens aux artistes en général et aux étudiants en particulier, de comprendre comment ces outils sont produits, de questionner leur fonctionnement, de les détourner et de créer leurs propres outils quand le besoin s’en fait sentir. Ceci implique l’apprentissage de la programmation informatique dans l’enseignement artistique ainsi qu’une approche épistémologique des questions soulevées. C’est le moyen le plus évident de continuer à penser notre rapport aux outils plutôt que d’être pensé par eux.
L’un des premiers enjeux est d’éviter que les étudiants ne se retrouvent dans la situation de simples utilisateurs de systèmes qui sont imposés par le marché et qui déterminent une position de consommateur, un cadre d’utilisation et une certaine esthétique. Il est bien sûr important que les étudiants connaissent les principaux logiciels qui sont proposés à un moment donné, mais le fait de créer ses propres outils suppose une démarche tout à fait différente. Ce sont des outils autonomes, transformables, appropriables par les étudiants, par les enseignants ou les artistes qui voudront les utiliser. Il s’agit de ce point de vue de sauvegarder une certaine indépendance, une certaine maîtrise des processus de travail.
Avec la question de la maîtrise, il y a évidemment celle de la compréhension à la fois des logiques opératoires et, d’une certaine façon, de leurs objets, de ce qui est mis en œuvre par l’usage des techniques. C’est une façon de développer une lecture des domaines qui sont abordés. Le cas des systèmes cartographiques le montre particulièrement clairement. Au travers de la programmation des outils cartographiques on acquiert une certaine connaissance des cartes et de la relation au territoire. Créer ses propres outils implique de développer une lecture de ce qu’on aborde, cela contraint à se confronter avec d’autres formes de connaissances. Du point de vue artistique, un outil comme le Plotmap ne pose pas seulement des questions d’usage ou d’efficacité, il pose aussi des questions de forme et d’écriture. Il engage à la fois des gestes et des choix esthétiques. Ces choix ne sont pas circonscrits à l’avance par des cadres extérieurs, ils doivent être explicités, définis, mis en oeuvre. Le Plotmap est donc aussi une forme qui répond à des envies, des désirs, des projets et à une certaine conception des réseaux et de leurs usages.
Le Plotmap poursuit une démarche plus ancienne, qui a déjà donné lieu, il y a une quinzaine d’années, à l’existence d’un système d’édition web, le Plotsème1. Les deux sont venus répondre à un besoin. Pour le Plotseme, il s’agissait de créer un espace en ligne où l’on pourrait placer des textes, des images, des vidéos, du son. Il existait évidemment déjà des outils pour ce genre de choses à l’époque, mais nous avions envie de créer un système sur mesure. Le Plotsème et la Plotmap répondent à une volonté d’indépendance, de facilité d’accès, de liberté formelle et de légèreté. C’était aussi pour moi une façon d’apprendre, de répondre à des questionnements par la voie pratique de l’expérimentation. Le Plotsème est un outil, mais c’est aussi une forme qui a sa propre histoire et qui a suivi une évolution autonome depuis maintenant une quinzaine d’années. Il est passé par des étapes différentes, des refontes totales à certains moments. C’est un système que des gens utilisent de façon un peu quotidienne et c’est pour moi une façon de faire mes gammes : le remettre à jour, le faire évoluer pour qu’il s’adapte à l’évolution des techniques et des langages, travailler les formes possibles. Cette relation de la forme et de l’outil est toujours une question. Je ne sais pas si c’est l’outil qui génère des formes ou si c’est l’envie de générer ces formes qui me poussent à faire bouger l’outil. En fait je crois que c’est un tout, qu’il n’y a pas vraiment de sens dominant dans ce mouvement.
Dans les deux cas, celui du Plotsème ou du Plotmap, il s’agit d’imaginer des espaces que les gens vont se réapproprier. Il s’agit de voir émerger, au travers de quelque chose qui est une matrice, des possibilités et des fonctionnements différents. Il y a une logique de la modularité et de l’économie de la forme qui me paraît essentielle. Il s’agit de penser une structure fluide. D’une certaine façon, ça répond à un fantasme. Je ne sais pas si c’est vraiment faisable.
Il s’agirait d’une structure générative qui accompagnerait la construction du site. Les formes de circulation sont infiniment variables. J’imagine que les personnes qui utilisent ce système en font des choses que je n’imaginais pas du tout. J’espère influencer comme ça les façons d’utiliser le Web, en résistant aux formes imposées, ne serait-ce qu’à une toute petite échelle. Par là, ce sont des formes très spécifiques.
Il n’existe pas beaucoup de systèmes qui développent ce genre « d’hyper-fluidité ». Je cherche une sorte de sobriété numérique. Il s’agit de faire les choses de la façon la plus légère, la plus efficace et la plus solide possible. Cette notion de sobriété se retrouve d’abord dans l’écriture, dans le code. Elle conduit aussi à une autre forme d’indépendance. Par exemple, on peut déployer ces outils sur des plateformes très minimales. On n’a pas besoin de passer par de gros serveurs, on peut se contenter de machines extrêmement légères. Il faut arriver à quelque chose qui réponde à la fois à un besoin de transmissibilité et de sobriété. Il est important de se situer concrètement, pratiquement, par rapport à l’inflation matérielle des réseaux, au delà des discours illusoires sur la dématérialisation. Il faut aussi aider à prendre conscience des enjeux sociaux et écologiques qui en résultent.
Les gros systèmes ne sont pas techniquement indépendants, ils utilisent des multitudes d’éléments qui ont été codés à des moments différents, dans des contextes techniques qui vont nécessairement devenir obsolètes. Il n’est pas possible de tout reprendre et il suffit qu’un maillon de la chaîne ne fonctionne plus pour que ça grippe tout le système. Ce sont des machineries très riches mais aussi très complexes et très ramifiées à des choses qui viennent de très loin. L’idée pour moi serait de faire des choses relativement simples dont tous les éléments peuvent être accessibles et sûrs. Et effectivement ça correspond à une recherche de sobriété, à une esthétique de la programmation. Au contraire, les gros systèmes conduisent leurs programmeurs à aller chercher des éléments déjà écrits et fonctionnels pour les introduire afin de satisfaire un besoin ou une fonctionnalité. Les deux systèmes du Plotsème et du Plotmap ne cessent d’évoluer. C’est un processus qui se continue de façon permanente. L’histoire n’est intéressante que si elle continue à générer de nouvelles possibilités. Il n’y a pas de fin, pas de version définitive ni de forme qui pourrait être atteinte à un moment donné. C’est une réécriture permanente. Cela n’empêche pas qu’il puisse y avoir des formes définitives qui puisse être atteintes par telle ou telle personne dans le cadre de tel ou tel projet particulier, mais l’idée essentielle est qu’il existe une constellation d’outils qui sont en perpétuelles mutations, adaptations, transformations et sans plan prédéfini, sans projection. Tout dépend des situations, des besoins, des envies, des projets. La dernière version du Plotmap que j’ai travaillée cet été a été intégrée au Plotsème, comme si c’était un plugin. Mais cela n’a été possible que parce que je venais de réécrire le Plotsème en essayant d’aller le plus loin possible vers ce principe de sobriété et qu’il m’est du coup apparu que je pouvais facilement intégrer le Plotmap dans cette nouvelle écriture. Et je pense que dans un an ou deux j’aurai d’autres pistes.
Dans le Plotsème, il n’y a pas vraiment de structure. On peut ajouter des pages aux pages, créer une page à partir de n’importe quelle page. Tout contenu est à la fois un ensemble de données et à la fois un élément qui structure lui-même le site. Les deux fonctions, de donner des contenus et créer de l’organisation et de la forme sont indissociables. Quand j’ajoute la carte là-dessus c’est du même ordre, la carte est à la fois un contenu pour le site et elle représente le site lui-même. On est toujours dans ce genre de rhizome et de récursivité de la forme sur le contenu.
Ce qui m’amuse, c’est de mélanger ces choses là et de créer des dispositifs qui permettent de passer de l’un à l’autre. La façon même dont on édite le Plotsème est déjà sur ce mode là. Ce qui m’intéresse dans le rapprochement du Plotmap et du Plotsème, c’est de pouvoir à tout moment utiliser la carte comme un moyen de relecture de l’arborescence du site, c’est de permettre d’aborder de façons différentes un même nuage de données. Naviguer le site et naviguer la carte sont deux approches différentes ou deux représentations différentes des mêmes ensembles de contenus qui pourraient encore être représentés d’une autre façon.
Guillaume Stagnaro
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Le Plotsème a été imaginé par Guillaume Stagnaro dans le cadre d’un groupe de recherche appelé Plot (Jean Cristofol, Fabrice Gallis, Guillaume Stagnaro). Plot était l’un des éléments du collectif de recherche en réseau AGGLO, initié par Paul Devautour et Jérôme Joy et soutenu par le ministère de la Culture au début des années 2000. Plot a été rejoint par Douglas Edric Stanley et a mené des expérimentations avec des étudiants à l’école d’art d’Aix. ↩